1/4/08

Rêve Parisien - Charles Baudelaire

De ce terrible paysage,
Tel que jamais mortel n'en vit,
Ce matin encore l'image,
Vague et lointaine, me ravit.

Le sommeil est plein de miracles!
Par un caprice singulier
J'avais banni de ces spectacles
Le végétal irrégulier,

Et, peintre fier de mon génie,
Je savourais dans mon tableau
L'enivrante monotonie
Du métal, du marbre et de l'eau.

Babel d'escaliers et d'arcades,
C'était un palais infini
Plein de bassins et de cascades
Tombant dans l'or mat ou bruni;

Et des cataractes pesantes,
Comme des rideaux de cristal
Se suspendaient, éblouissantes,
A des murailles de métal.

Non d'arbres, mais de colonnades
Les étangs dormants s'entouraient
Où de gigantesques naïades,
Comme des femmes, se miraient.

Des nappes d'eau s'épanchaient, bleues,
Entre des quais roses et verts,
Pendant des millions de lieues,
Vers les confins de l'univers:

C'étaient des pierres inouïes
Et des flots magiques, c'étaient
D'immenses glaces éblouies
Par tout ce qu'elles reflétaient!

Insouciants et taciturnes,
Des Ganges, dans le firmament,
Versaient le trésor de leurs urnes
Dans des gouffres de diamant.

Architecte de mes féeries,
Je faisais, à ma volonté,
Sous un tunnel de pierreries
Passer un océan dompté;

Et tout, même la couleur noire,
Semblait fourbi, clair, irisé;
Le liquide enchâssait sa gloire
Dans le rayon cristallisé.

Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges
De soleil, même au bas du ciel,
Pour illuminer ces prodiges,
Qui brillaient d'un feu personnel!

Et sur ces mouvantes merveilles
Planait (terrible nouveauté!
Tout pour l'oeil, rien pour les oreilles!)
Un silence d'éternité.

II
En rouvrant mes yeux pleins de flamme
J'ai vu l'horreur de mon taudis,
Et senti, rentrant dans mon âme,
La pointe des soucis maudits;
La pendule aux accents funèbres
Sonnait brutalement midi,
Et le ciel versait des ténèbres
Sur le triste monde engourdi.

Sueño "Parisien"


De este terrible paisaje,
que jamás vieron ojos mortales,
esta mañana la imagen
vaga y lejana,
todavía me maravilla.

¡El sueño está lleno de milagros!
Por un capricho singularísimo,
había desterrado de ese espectáculo al vegetal irregular y,

pintor orgulloso de mi genio,
saboreaba en mi cuadro la embriagadora monotonía del metal,
el mármol y el agua.

Babel de escaleras y arcadas, era un palacio infinito,
lleno de fuentes y cascadas
que caían sobre el oro mate o bruñido;

y las pesadas cataratas,
como cortinas de cristal,
se suspendían,
deslumbrantes,
de las murallas metálicas.

No árboles, sino columnatas,
rodeaban los estanques dormidos, donde,
como mujeres, gigantescas náyades se miraban.

Napas de agua se expandían, azules,
entre muelles rosas y verdes,
durante millones de leguas,
hasta los confines del universo;

había piedras inauditas y olas mágicas;
había espejos deslumbrados por todo lo que reflejaban.

Ríos descuidados y taciturnos,
desde el firmamento,
vertían el tesoro de sus urnas
en abismos de diamante.

Arquitecto de mis sortilegios,
hacía pasar a mi antojo,
bajo un túnel de pedrerías,
un océano domado;

y todo, hasta el color negro, parecía bruñido, claro, irrisado:
el líquido engarzaba su gloria en el rayo hecho cristal.
Ningún astro, ningún vestigio de sol ni aún al final del cielo, para iluminar
esos prodigios, que brillaban con un fuego propio.

Y sobre esas móviles maravillas flotaba (terrible novedad: ¡todo para los ojos
nada para los oídos!) un silencio de eternidad.

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